Erica Hennequin

"Politique et Cie"

Que pèsent les droits humains face à 100 millions ?

 Tag : moratoire agrocarburants   

Développement de la motion à la tribune avant le vote:

La motion 902 ne concerne pas la valorisation des déchets végétaux ni le biogaz. Elle demande un moratoire de cinq ans seulement pour la production d’agrocarburants à partir de végétaux cultivés dans ce seul but.

A vrai dire, le bon sens voudrait que l’on interdise ce type de production purement et simplement :
On a tous en mémoire les révoltes contre la faim qui ont éclaté, voici à peine deux ans, dans des pays connus, comme l’Argentine, pour leurs exportations massives de produits agricoles : qui n’a pas été choqué par cette situation ?

On sait aussi que l’agriculture doit s’apprêter à nourrir une population mondiale qui ne cesse de s’accroître et que la partie est loin d’être gagnée : personne ne peut hausser les épaules face au gaspillage qui consiste à consacrer des surfaces agricoles, ici ou ailleurs, pour faire rouler des voitures, plutôt que pour nourrir la population.
En ce sens, il est politiquement absurde et irresponsable d’accepter sans autre que des végétaux soient cultivés dans l’unique but de produire du carburant.

En toute logique, de nombreuses voix demandent un gel des investissements sur le développement des agrocarburants. Parmi celles-ci, le Collectif contre l'importation d'agrocarburants à Delémont fédère plus de 1000 membres individuels et 25 associations : cette motion est aussi la leur.

Mais permettez-moi de relever ici trois voix institutionnelles qui s’associent de fait à la revendication du Collectif jurassien:
- La FAO (organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture)estime que 100 millions de tonnes de denrées alimentaires de base ont été retirées du marché mondial pour faire le plein des véhicules et que cette réduction de l’offre alimentaire a contribué à l’augmentation de la malnutrition.
- Emboîtant le pas à la FAO, la Banque mondiale constate également que les agrocarburants ont fait s’envoler le prix des denrées alimentaires : cette conséquence est de nature à toucher tous les consommateurs, et pas seulement dans les pays du Sud, mais aussi chez nous.
- Faisant les mêmes constats que la FAO et la Banque mondiale, l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) va plus loin, en réclamant un moratoire.
Faut-il rappeler ici que la Suisse est membre de ces trois institutions, et que celles-ci n’ont pas l’habitude de soutenir les mêmes conclusions que les écologistes et les syndicalistes ?

Car les arguments pour un moratoire ne relèvent pas seulement du jeu économique de l’offre et de la demande. Un moratoire s’impose aussi au nom de la protection des droits fondamentaux des paysans du Brésil et de la préservation du « poumon vert » de l’Amérique du Sud, la forêt amazonienne.
La production d’éthanol imprime une forte pression sur les terres utiles, non seulement au détriment des cultures vivrières, mais aussi des ressources naturelles. Au Brésil, on cultive de la canne à sucre sur environ 7 millions d'hectares, dont la moitié pour la production d'éthanol. Par effet domino, cette culture participe à la déforestation de la forêt amazonienne. L'expansion de la culture de la canne repousse la culture du soja vers le nord et celle-ci fait pression sur les éleveurs qui déboisent le sud de l'Amazonie pour pouvoir nourrir leur bétail.

Que le Brésil produise de la canne à sucre pour son propre carburant est une chose regrettable vu la situation de ce pays et l’importance de la forêt amazonienne pour le climat mondial ; mais que nous acceptions d’importer de la canne à sucre brésilienne pour faire rouler nos voitures serait encore pire, car nous approuverions le cortège de destructions écologiques, de violations des droits fondamentaux et de misères qui y accompagne la production l’agroéthanol.

Etes-vous prêts à soutenir le travail d’esclaves auquel sont astreints les 25 à 50 000 personnes employées dans les champs de canne à sucre ?
Etes-vous prêts à fermer les yeux sur la violence quotidienne qu’ils subissent, sur la corruption qui gangrène les pouvoirs locaux et régionaux, sur l’impossibilité de tout contrôle fiable, rendant caduque toute idée de certification ?

Les ONG présentes au Brésil ne sont pas les seules à le dire : les fonctionnaires brésiliens reconnaissent eux-mêmes que tout certificat risque d’être faux, tant sont violents les rapports de force en présence.

Dans sa réponse à la question écrite qui s'intitulait "Manger ou conduire, faudra-t-il choisir? ", le Gouvernement jurassien s'est réfugié derrière la position du Conseil fédéral qui affirme que la Suisse a introduit dans sa législation des critères strictes au niveau écologique et social pour l'octroi d'allègements fiscaux et que le pays faisait œuvre de pionnier dans ce domaine.
Peut-être, mais cette législation permet de défiscaliser complètement un carburant qui ne nuit pas plus de 25 % de plus à l'environnement que l'essence à base de produits fossiles. On est loin d’avoir là une loi garantissant une production de carburant qui réduise les nuisances environnementales !

Comme je l'ai déjà mentionné, le bon sens dicterait une interdiction pure et simple de toute production d’agrocarburants à partir de végétaux cultivés dans ce seul but. Pourquoi donc un moratoire, pourquoi demander simplement un délai?
Pour des raisons fédérales, dans un premier temps : la motion 902 a la teneur de la motion qu’avait déposée P. Rechtsteiner au Conseil national. Je déplore aujourd’hui qu’il ait retiré son texte.
D'autre part, il est important que des projets tels que celui de Greenbioenergy à Delémont fassent l'objet de choix politiques.

Je vous invite donc à accepter la motion, à faire le choix de produire de la nourriture plutôt que des végétaux pour nos moteurs!

23.09.09/ eh


Par erica-hennequin, le 24/09/2009 à 16h05


Les commentaires

Il n'y a aucun commentaire sur cet article.

Poster un commentaire


Pseudonyme
Site
Email
Note Etoile Etoile Etoile Etoile Etoile
Commentaire